Promenade patrimoniale dans le Jardin de santé de Jean
de Cuba…
L’ « Ortus sanitatis translate de latin en francois », autrement dit le Jardin de santé, édité à
Paris par Antoine Vérard vers 1500 est
un traité médical, également considéré comme la dernière grande encyclopédie du
Moyen Age. Attribué généralement à un médecin allemand,
Jean de Cuba, ce document est intéressant à plusieurs titres.
- Abondamment illustré
de bois gravés, il atteste des évolutions de l’imprimerie toute récente et
constitue une prouesse technique.
- Selon les linguistes, il est par ailleurs
essentiel à l’histoire du moyen français, puisque l’on y trouve les premières
attestations de nombreux mots savants et techniques que les dictionnaires
situent bien plus tard dans le siècle[1].
- Il date par ailleurs d’une période charnière,
période de transition entre le Moyen âge
et les Temps Modernes. En ce qui concerne son contenu, il n’est pas en avance
sur son temps, puisqu’il établit une synthèse des connaissances relatives aux
règnes végétal, animal et minéral accumulées depuis Hippocrate (Ve s. av.
J.C.), soit pendant deux-mille ans. Sur la forme par contre, il semble
annonciateur des Temps Modernes : ce document imprimé et illustré a été
largement diffusé. Edité en français, il est révélateur du passage du savoir du
domaine latin au domaine vernaculaire, d’un soucis de transmettre des
connaissances, d’une volonté de vulgariser la matière médicale.
Peu étudié jusqu’à la fin du XXe siècle,
le Jardin de santé est depuis
quelques années l’objet d’études menées par deux centres de recherches en
particulier :
- Le Centre de recherches archéologiques et historiques
anciennes et médiévales (craham), rattaché à l’Université de Caen Basse-Normandie, qui édite le traité
des poissons, De piscibus, de l’Hortus sanitatis, en
lien avec l’ « Atelier Vincent de Beauvais » (Université de
Nancy 2), et
a organisé deux journées d’étude
intitulées « Autour de l’Hortus sanitatis : médecine et sciences
naturelles au début du livre imprimé », avec le centre Michel de Bouard,
les 24 et 25 novembre 2011 à l’Université de Caen Basse-Normandie[2].
- Le Centre d'études des textes médiévaux (CETM) de
l’Université Rennes 2 Haute Bretagne et
Denis
Hüe, professeur de langue et littérature du Moyen-Age et
de la Renaissance au sein de cette même université, qui a été le premier à
consacrer un article au Jardin de santé[3], s’appuyant sur des
mémoires de maîtrise qu’il a dirigés[4],
et a depuis apporté son éclairage sur un autre pan de l’ouvrage : le lapidaire[5].
Ces études demandent à être poursuivies.
Le Jardin de santé n’a pas encore
livré toutes ses richesses !-, mais elles nous permettent de mieux
l’appréhender. Elles nous fournissent des éléments sur son auteur, son éditeur,
leurs motivations et les sources utilisées… Eléments que nous rapporterons
avant d’en venir concrètement au contenu du volume, de prendre la mesure du
travail accompli par l’auteur et de dégager certains échantillons de la vaste
palette d’espèces traitées et de remèdes préconisés !…
I.
Le Jardin de santé : présentation, paternité,
finalités, date d’édition et sources
Alors !
De quoi s’agit-il ? A qui doit-on ce document ? Quelle en est la date
d’édition, puisque assez évasivement, nous avons mentionné une édition vers
1500 ? Quelles sont les sources de cette compilation ?
A.
Présentation
physique, collation
Quelle physionomie
a-t-il ce Jardin de santé ?...
C’est un volume épais
de près de 500 feuillets, imprimé en caractères gothiques sur deux colonnes et
abondamment illustré de bois gravés.
Il se découpe en six
parties :
-
Le traité des
bêtes ou bestiaire ;
-
Le traité des
poissons, traité ichtyologique ;
-
Le traité des
pierres ;
-
Le traité des
urines, enfin.
B.
Paternité
du Jardin de santé
1.
l’ « acteur »
: Jean de Cuba ?
Le nom de Jean de Cuba
n’apparaît pas dans l’ouvrage, mais c’est à lui que l’on attribue généralement
le Jardin de santé[8].
Jean de Cuba ou plutôt
Johannes Wonnecke von Kaub
est un médecin et naturaliste allemand[9]. Il aurait vécu de 1430
environ à 1503-1504[10]. Il est entre
1484 et 1503 médecin de la ville de Francfort[11]. Il est
établi que Jean de Cuba est l’auteur du Gart
der Gesundheit publié en 1485 à Mayence[12]. Le prologue de ce Jardin de santé en langue allemande
indique que le commanditaire de l’ouvrage est le savant Bernhard von
Breidenbach, lequel a confié au médecin Jean de Cuba le soin de compiler les
grandes autorités médicales anciennes
et médiévales. Il
réunit 435 chapitres dont la plupart consacrés aux plantes, quelques-uns traitant des
animaux, et un petit traité sur les urines, le tout complété par des index croisés.
« Notre » Jardin de santé est quant à lui la traduction fidèle de l’Hortus sanitatis édité lui aussi à
Mayence par Jacob
Meidenbach en 1491[13]. Il est considéré comme une
œuvre indépendante du Gart der Gesundheit,
mais il s’en est largement inspiré, pour le plantaire en tout cas. Avec pas
moins de 1066 chapitres traitant pour moitié des plantes, mais aussi des
animaux terrestres, des oiseaux, des animaux marins, des minéraux, augmentés
d’un traité des urines et deux index, il dépasse largement son modèle.
Alors,
Jean de Cuba est-il l’auteur de ce document ?
Les
avis divergent. Bretagne et Normandie sont
en désaccord sur ce point.
Pour Denis Hüe, professeur
de langue et littérature du Moyen-Age et de la Renaissance à l’Université Rennes 2 Haute Bretagne, « si l’œuvre s’appuie sur le travail du médecin
allemand, elle intègre de nombreuses autres sources, et essentiellement le Speculum Naturale, le Miroir de la nature de Vincent de
Beauvais. Même si l’attribution reste généralement faite à Jean de Cuba, aucun
indice interne ne nous permet de lui attribuer cette abondante compilation, qui
dépasse très largement l’œuvre antérieure, et dont la visée est clairement
aussi encyclopédique que proprement médicale. »[14]
Alors que la
similitude des méthodes de rédaction des deux œuvres permet aux membres du Centre de recherches
archéologiques et historiques anciennes et médiévales (craham) de l’Université de Caen
Basse-Normandie de conclure que Gart der
Gesundheit et Hortus sanitatis ont
le même auteur : Jean de Cuba, associé cependant pour l’Hortus sanitatis à l’imprimeur-éditeur
J. Meidenbach[15].
2.
Sur Antoine Vérard, éditeur
L’on sait
d’Antoine Vérard (1450?-1519?), l’éditeur du Jardin de santé, qu’il a dirigé un
atelier où l'on calligraphiait et enluminait des manuscrits de luxe, avant de
faire imprimer des livres où l'illustration tient une place essentielle. Son
activité d'éditeur parisien, qui s'étend de 1485 à sans doute 1512, est
certainement florissante, car il possède aussi un dépôt à Tours et commerce
avec l'Angleterre. Il emploie les meilleurs imprimeurs parisiens[16],
mais s'occupe sans doute lui-même de la décoration des ouvrages. Sa production
dépasse deux cent cinquante éditions (romans de chevalerie, mystères, ouvrages
de dévotion, traductions de classiques).[17]
Au regard de ces éléments – la prédilection
d’Antoine Vérard pour le livre illustré et la prospérité de son commerce -,
l’on comprend mieux qu’il se soit lancé dans une entreprise aussi lourde que
celle de l’édition du Jardin de santé.
On peut même aller plus loin et reconnaître
à Antoine Vérard une stratégie éditoriale bien pensée. Aucune traduction en
français n’existait de la somme naturelle de Vincent de Beauvais, son Speculum naturale, source reprise
abondamment par l’Hortus sanitatis,
alors que sa somme historique, le Speculum
historiale avait déjà fait l’objet avec succès d’une version française.
Antoine Vérard avait donc de bonnes raisons de subodorer que la publication du Jardin de santé serait bien
accueillie : il répondait à une attente du « public ». Il faut
noter aussi que cet éditeur reconnu de livres illustrés savait réduire
les coûts en faisant graver des illustrations déjà dessinées pour d'autres
éditeurs ou dessinées pour d’autres titres sortis de son atelier… Pratiques qui
ont eu cours dans le cadre de l’édition du Jardin
de santé[18].
Antoine Vérard ne semble pas s’être trompé
en misant sur la traduction de l’Hortus
sanitatis. L’Hortus sanitatis, la
version latin, a rencontré un vif succès au tournant des XVe et XVIe siècles.
Elle a fait l’objet d’au moins sept
éditions différentes, imprimées à Mayence, Strasbourg et Venise, entre 1491,
date de l’édition princeps et 1536. En outre, diverses versions existent en
néerlandais et en anglais[19].
La
version française de Vérard a aussi connu un certain succès à son époque, et l’on doit à
Philippe Le Noir une réédition parisienne… ou deux, comme le
laissent penser les dates d’édition de 1539, mais aussi de 1529 mentionnées par
le Catalogue collectif de France (Ccfr)…[20]
C.
Finalités
du Jardin de santé
Quel public escomptaient toucher l’auteur
et l’éditeur ?
Il est peu probable
que, malgré son caractère de Matière
médicale, la traduction française ait été destinée à un public de
médecins ou d'apothicaires, ces derniers pratiquant le latin et n'ayant nul
besoin d'un ouvrage en français. Peut-être s’adressait-elle à des catégories
professionnelles subordonnées dans la hiérarchie des métiers de la santé, comme
les chirurgiens, les barbiers –professions toutes deux autorisées à administrer
des médicaments- ou les sages-femmes ?... Mais était-il financièrement à
leur portée… ?
L’auteur avance un
argument dans la préface. Il dit être contraint par la charité et déclare
souhaiter permettre de se soigner, à ceux qui n’ont pas les moyens de
solliciter médecins et apothicaires. L’argument semble fallacieux, puisque ce
public désigné n’était certainement pas capable d’acheter l’ouvrage et de le
lire. Les motivations de l’auteur et de l’éditeur devaient être
ailleurs !...
S’ils s’adressaient
sans doute plutôt à un public fortuné, auteur et éditeur ont bien le soucis de transmettre des connaissances qui auront
une dimension pratique indiscutable, puisque l’idée directrice qui est mise en
avant est celle de l’automédication : la présence d’index des maux à
soigner, des « espèces » renvoyant aux chapitres, l’ordre
alphabétique adopté dans la présentation des plantes, animaux et minéraux
attestent de la réalité de leur volonté d’éditer un livre pratique.
S’il
a donc une finalité médicale certaine, le Jardin
de santé a d’autre part une visée encyclopédique. C’est particulièrement
vrai pour la partie consacrée aux animaux, pour laquelle la visée médicale
passe au second plan. Le compilateur tend à constituer un répertoire exhaustif
de la nature, prenant en compte la curiosité d’une certaine classe sociale, de
même que son goût pour l’illustration. Par ces aspects, par la présence
d’exemplaires de luxe, sur vélin ou rehaussés de couleurs, le livre est
l’occasion d’une promenade. Traité médical, c’est aussi une encyclopédie et un
beau livre à découvrir !
D.
Sur la date
d’édition
Aucune date d’édition n’est mentionnée
dans le document.
Brunet dans son Manuel du libraire et de l’amateur de livres[21]
se contente d’indiquer qu’il est imprimé « vers 1501 ».
L’adresse de l’éditeur, Antoine
Vérard, est un indice. Le colophon[22] précise
qu’il demeure « en la rue saint Jaques pres petit pont a
lenseigne saint iehan levangeliste au palais au premier pillier devant la
chapelle ou len chante la messe de messeigneurs les presidens. »
Or, si l’on en croit le biographe
Hoefer[23],
il demeure à une autre adresse, sur le pont Notre-Dame jusqu’à la chute de ce
pont, fin 1499 et s’établit près le carrefour Saint-Séverin. Hoefer indique
qu’ « en septembre 1500, on le retrouve rue Saint-Jacques »,
mais qu’en septembre 1503, il est « devant la rue Neuve-Notre-Dame, où il
resta jusqu’à sa mort, en conservant toujours son enseigne à Saint Jehan
l’Evangéliste ». Nous pouvons donc estimer que le Jardin de santé a été imprimé après 1499 et avant septembre 1503.
La Bibliothèque nationale de France
dispose peut-être d’éléments complémentaires et le date entre 1499 et
1501-1502.
Cette date tardive remet-elle en
question son appartenance aux incunables ?
Non, car le réel tournant entre
les premiers livres imprimés dont la mise en page se rapproche des manuscrits,
et le livre imprimé renouvelé se situe davantage dans les années 1520-1530.
Avant cela, on parle de « post-incunables ».
Par ailleurs, le Jardin de santé présente toutes les caractéristiques de
l’incunable :
-
l'utilisation des caractères gothiques, proches de ceux de
l'écriture manuscrite - en l’occurrence, la lettre utilisée est la bâtarde qui sert pour les textes en
langue vulgaire ;
-
l'importance des abréviations
et des ligatures[24]
;
-
le texte, assez dense, composé sur deux colonnes et le format in-folio ;
-
l’absence de précision du nom de l’auteur et de la date
d’impression ;
-
la présence d’un colophon ;
-
la foliotation (numérotation des feuillets au seul recto) et l’absence de
pagination –
celle-ci n’apparaît qu’en 1499.
-
la présence de bois gravés, dont le rôle est à
rapprocher, dans une certaine mesure, de celui des enluminures médiévales.
E.
Sources du Jardin de santé
Le Jardin de santé, comme d’ailleurs
beaucoup de traités médicaux antérieurs, consiste en une succession de
citations empruntées aux meilleures autorités depuis l’antiquité, autorités
dont il fait une liste non exhaustive dans la préface.
Elles
comprennent des autorités antiques, grecques et latines :
-
Hippocrate (460-377 av. J.-C.),
- Pline l'Ancien
(30-79),
-
Dioscoride (env. 40 – env. 90),
- Claude Galien (vers 131-
vers 201),
- Palladius (ve siècle).
…
des autorités médicales arabes :
- Jean Sérapion (IXe siècle),
- Jean
Mésué (IXe siècle),
- Rhazès (IXe-Xe s.),
-
Avicenne (XIe s.),
Auxquels il
faut aussi ajouter…
- Constantin
l’Africain (XIe
s.), moine bénédictin né à Carthage, traducteur et
compilateur de textes médicaux arabes.
Les sources
médiévales européennes, enfin, sont variées :
- Isidore (Vie-VIIe s.), évêque de Séville,
- Marbode
(XIe-XIIe s.), évêque de Rennes,
-
Matthaeus Platearius (XIIe siècle), médecin de l’école de Salerne,
l’auteur du Livre des simples médecines,
- Vincent de Beauvais (XIIIe s.), savant dominicain,
- Thomas de Cantimpré (XIIIe s.), également dominicain, né
près de Bruxelles,
- Albert le Grand (XIIIe s.), frère dominicain,
philosophe, théologien, naturaliste,
chimiste allemand.
-
Matthieu Sylvaticus surnommé Pandectarius, médecin salernitain du XIVe
siècle (mort vers 1340),
Il
ne faut pas croire que notre auteur avait lu toutes ces autorités. Il a extrait
ses citations de compilations antérieures, notamment des encyclopédies datant
du XIIIe siècle de Vincent de Beauvais, Albert Le Grand ou Matthieu Sylvaticus[25].
L’Hortus sanitatis -et donc le Jardin de santé- réutilisent abondamment
en particulier le Speculum naturale,
le Miroir de la nature, de Vincent de
Beauvais. Tous les chapitres consacrés aux animaux sont largement repris du Speculum naturale. Le Jardin de santé apporte ainsi la
première traduction française, certes partielle et inavouée, de l’œuvre de
Vincent de Beauvais ! Ce faisant, notre auteur n’agit pas différemment de
ses confrères encyclopédistes…
Selon
Bruno Roy, dans un article consacré à Vincent de Beauvais et à Thomas de
Cantimpré[26] :
« Au
fond il y a un vice de forme dans le processus même de la compilation. Un
compilateur est toujours irrésistiblement attiré par d’autres compilations. (…)
Quand Vincent a rencontré sur son chemin la compilation de Thomas, ce
contemporain et confrère qui montrait autant d’affinités dans ses choix
scientifiques, et dont il partageait la sensibilité d’homme du XIIIe siècle, il
a « craqué ». Impossible de faire autrement que de l’intégrer massivement
à sa nouvelle édition du Speculum. »
Si,
enfin, Jean de Cuba n’est pas l’auteur de l’Hortus
sanitatis, il faut ajouter une source de cette fin du XVe siècle, au moins
pour le « proesme » et le plantaire : le Gart der Gesundheit !
Familiarisés avec l’auteur, l’éditeur, les
sources de notre document, plongeons-nous (enfin !) dans son contenu…
II.
Au fil du Jardin de santé : des exemples !
Le Jardin de santé s’intéresse tour à tour
aux règnes végétal, animal et minéral. Depuis Pline l’ancien, les espèces les
plus légendaires se mêlent, dans les récits, aux espèces réelles. Nous verrons
que notre document regorge d’espèces imaginaires. Cependant, certaines espèces
existantes, des espèces exotiques surtout, revêtent des caractères tout aussi
merveilleux que celles purement imaginaires pour les médiévaux. Face à
l’imaginaire et à l’exotisme, on trouve dans le Jardin de santé des espèces mieux maîtrisées par l’homme médiéval,
auxquelles il a recours dans le cadre de son alimentation, laquelle est liée à
la médecine, et des espèces auxquelles il attribue des propriétés
thérapeutiques.
A.
Un Jardin imaginaire
Les espèces
imaginaires relèvent surtout du règne animal. On peut néanmoins noter parmi les
végétaux, la présence de l’arbre de vie de paradis, et celle d’un « grant
arbre umbrageux » que notre auteur nomme « hanfer » ou «
hanfor », « soubz lombre duquel, dit-il, ceulx qui y dorment sont
peris et meurent ». Peut-être est-il à rapprocher du noyer, qui avait mauvaise
réputation et dont on disait qu’il était dangereux de dormir à son ombre, où
l’on risquait de contracter un froid qui pouvait s’avérer mortel…
superstition qui s’inspire en partie d’un « effet de
voisinage » : sous un noyer, le sol est à peu près nu, les feuilles
de cet arbre renfermant des substances défavorables à la levée des graines[27].
Le lapidaire fait
référence à certaines pierres, certains métaux ou minéraux fabuleux, comme la
draconite, pierre extraite de la tête du dragon ou les magnes, pierres
localisées sur les rivages des Indes et qui provoquent des naufrages en
attirant à elles les clous, et autres pièces composées de fer à bord des
navires. Beaucoup de minéraux localisés dans la tête ou dans le corps
d’animaux, ou encore produits par eux, comme la ligure, qui
se forme, dit-on, de l'urine du lynx,
sont mentionnés et paraissent extraordinaires.
Cerastes,
cephos, dragon, draconcopedes,
leonthophonos,
maricomorion,
demuneto, pelu, pégase… L’imaginaire est particulièrement présent dans les
trois parties du Jardin de santé
consacrées aux animaux qu’ils soient terrestres, volatiles ou marins. Dans la
pensée de l’homme médiéval, ces créatures fabuleuses côtoient les animaux
réels, et sont considérés comme véritables.
Certaines sont anthropomorphes : centaures, faunes, harpies, onocentaure,
animal médiéval mythologique ayant
le buste, la tête et les bras humains sur le corps d'un âne.
Il peut s’agir d’animaux au nombre élargi de
membres, comme l’hydre qui porte
plusieurs têtes.
Mais ce sont les
animaux hybrides qui connaissent le plus grand succès, à l’instar du basilic, sorte de dragon à tête de coq ;
du leucocrotte, qui a les cuisses du
cerf, le cou, la queue et le poitrail du lion, la tête du blaireau et des
sabots fourchus ; de la licorne ou du griffon, quadrupède au corps de lion, à la tête,
aux ailes et aux serres d’aigle.
Sont
également extraordinaires, le caladrius,
cet oiseau blanc, capable de
deviner si un malade est condamné ou le phénix, dont on connaît les caractéristiques.
Les
flots inhospitaliers de la mer sauvage renferment bien des monstres. L’eau est
notamment le domaine de léviathan, représenté ici sous la forme d’un quadrupède
amphibie aux longues cornes et aux boutoirs de sanglier. C’est aussi celui du
poisson-scie (serra), qui au moyen de ses plumes et de sa queue menace les
nefs. A citer en outre, tous aussi époustouflants les uns que les autres, un
cortège de chevaux de mer, lièvre, loup, porc, vache et veau de mer. On trouve
même un moine marin ( !), poisson dont la tête est semblable à celle d’un
moine. Bien-sûr la sirène est présente, mais, plus inattendu, le
« ziticon » a « quasi la forme d’ung chevalier armé »
( !).
B. Un jardin exotique
Certaines espèces
existantes revêtent des caractères tout aussi merveilleux que celles purement
imaginaires pour les médiévaux, du fait de leur taille inhabituelle ou de leur
exotisme…
Dans
le « proesme », l’auteur explique que le corpus iconographique a pu
être constitué grâce à un noble seigneur, amené à voyager –sans doûte pour un
pélerinage-. Au cours de son périple, il a observé et fait dessiner faune,
flore et minéraux, constituant un inventaire exhaustif de la nature du monde.
Son circuit est décrit longuement : Europe, Proche et Moyen Orient,
Maghreb…[28].
Or, les Arabes utilisaient un grand nombre de drogues inconnues des Occidentaux
jusqu’aux croisades et à la traduction des autorités arabes. C’est le cas de
l’opium, de l’aloès, de la cannelle ou du camphre. Toutes ces drogues
arrivaient d’Asie à Venise, à Gênes et au Portugal et, par l’Italie,
parvenaient en France. Employées activement, elles n’en faisaient pas moins
l’objet d’un réexamen critique et se voyaient parfois préférer certaines
plantes locales d’un usage moins onéreux et plus facile.
Le
summum du mystère et de l’exotisme est atteint par la mummie : liquide
noir à l’odeur forte, provenant probablement au départ des momies égyptiennes
rapportées du lointain Orient par bateaux, cet ingrédient était supposé pouvoir
contribuer à guérir de nombreuses maladies. Il en est de même du bitume (de
Judée) qui servait lui aussi à la conservation des momies.
Peut
être mentionnée la mandragore –femme ou homme- Ce nom s’appliquait à
une plante distribuée en région méditerranéenne (sud de la Péninsule ibérique,
et du sud de l’Italie à la Grèce ; fréquente au Proche-Orient). Elle doit
à sa racine anthropomorphe l’aura unique de magicienne qui l’entoure. Charnue
et ramifiée, cette racine simule parfois un être humain miniature avec bras et
jambes. Le regard ancien sur le végétal y voyait une ébauche humaine à mettre
au compte des puissances génératrices souterraines, au combien redoutables.[29]
Citons aussi le chapitre consacré au « zua » ou
« muza » :
« Muza
est le fruict de paradis ainsi que dient auc[u]ns en lequel mangeât pecha adam.
Mais les autres dient plus véritablement que il pecha en la figue. »
L’auteur veut-il dire qu’Adam s’est laissé tenter non par une pomme, mais soit
par une figue, soit par une banane ? Il doit en effet faire
allusion au genre Musa, de la famille des Musaceae dont les fruits,
en général, sont les bananes !
« On dit q[ue]
muza croist en Babiloine » continue-t-il. Les bananiers étaient peut-être
présents dans les jardins de Babylone. On sait qu’ils croissent depuis
longtemps en Asie (en Inde, puis en Chine). Et ce n’est qu’au gré des expéditions
maritimes qu’on les retrouve en Amérique du Sud et aux Antilles.
Si les Anciens en connaissaient l’existence, la
banane n’est introduite en Europe par les Portugais qu’au XVIIIème siècle, et
ne commence à être largement présente sur les marchés de France qu’à partir du
XIXème siècle… ce qui explique la représentation bien approximative qu’en fait
le Jardin de santé.
Un chapitre du traité
des herbes ( !) est consacré aux algues dont l’illustration est la encore
peu fiable !
« La vertu de
l’algue est semblable à celle du sel. Elle profite à ceux qui soufrent depuis
longtemps de dissenterie (…) à ceux qui sont malades de goute en la hanche. »
Dans
le règne animal, éléphant, mais aussi cirogrillus, un grand
hérisson, et fourmis géantes devaient émerveiller l’homme médiéval du fait de
leur taille. Le bestiaire, qui dédie son premier chapitre à l’homme, en
consacre un particulier aux pygmées. L’exotisme, l’étranger étonne. Les
illustrations représentant le caméléon, la mygale, le scorpion… attestent de la
méconnaissance de ces espèces par le dessinateur ! Les milieux aquatiques
sont particulièrement mal connus pour l’homme du Moyen âge qu’ils
effraient : baleine, représentée
avec un buste d’homme, de même les dauphins, le lion de mer, représenté comme
un lion terrestre mais pourvu d’écailles, le crocodile, la tortue, l’ypotanie –
dont la description correspond à l’hippopotame- semblent peu familiers de
l’illustrateur.
Outre une taille hors du
commun, la multiplicité des couleurs pouvait conférer un caractère merveilleux
à un être ou à un objet. C’est le cas de l’exacontalitus, pierre que l’on
trouve sur une île des Indes, et qui n’a pas moins de soixante couleurs...
C. Un jardin nourricier
Nous
l’avons vu, le Jardin de santé a à la
fois un contenu pharmacologique et un contenu diététique. Certains chapitres
sont consacrés à des mets qui entrent dans l’alimentation de l’homme médiéval.
En un temps où les famines sont fréquentes,
et où le normal frise toujours la disette, la connaissance des plantes
comestibles sauvages fait partie des savoirs indispensables à la survie. Ainsi,
en cas de nécessité, peuvent être consommés la mauve, les petits fruits rouges
de l’aubépine, la bourrache, l’amarante queue-de-renard, ou les glands, qui
« décortiqués et bouillis dans plusieurs eaux (…) perdent plus ou moins
leur âpreté et font des bouillis passables » et « séchés et réduits
en farine » pouvaient être « mêlés au pain ».
Passons
en revue les catégories d’aliments qui, en dehors des périodes de disette et,
pour certaines des jours maigres, étaient consommées par l’homme de Moyen âge…
-
Toutes les sortes de céréales, blés,
orge, seigle, avoine, constituaient l’élément essentiel de la nourriture, sous
la forme de pain, mais aussi de bouillies, de gâteaux. Le froment et autres
variétés de blé étaient les plus appréciés non seulement comme nourriture, mais
aussi comme de véritables médicaments.
Un chapitre traite
d’une céréale plus exotique : le riz.
- Les légumineuses,
comme les pois étaient aussi très consommées.
-
Les légumes, peu appréciés, étaient
en tout cas bien cuits, car soupçonnés sinon de provoquer des troubles.
L’oignon
était très controversé, mais néanmoins consommé.
Il
en était de même pour l’ail, préconisé par ailleurs comme remède dans de
nombreuses maladies : peste, hypertension, rage, empoisonnement, etc., à
tel point qu’il avait été surnommé « thériaque des paysans » (Par
opposition à la thériaque, médicament supposé universel dont l’élément
essentiel était l’opium et qui était plus difficile d’accès et plus coûteux).
Il est vrai que l’ail était « un mets dont les vilains usent souvent et
les nobles guère ». Ses multiples qualités sont toujours reconnues de nos
jours.
Chou
et poireau étaient également controversés.
Par contre, selon Pline, les asperges passent « pour un des
aliments les meilleurs pour l’estomac. Du moins avec addition de
cumin (…)!
La
blette était recommandée.
-
Les fruits étaient rarement
conseillés crus, mais ils entraient dans de nombreuses préparations, les figues
et le raisin en particulier.
Platearius
précise que « Les figues et les raisins nourrissent, mais
rendent la chair plus enflée que ferme. »
Les
poires rentraient dans la composition de l’antidote à utiliser en cas
d’ingestion de champignon vénéneux.
- Au Moyen Age, les
épices, comme le gingembre et le cumin, servent à faciliter la digestion et
non à masquer un goût de viande faisandée.
-
Les herbes aromatiques cultivées
dans les jardins des simples entraient dans de nombreuses médecines, mais leurs
vertus trouvaient également leur utilité dans l’alimentation.
Par
exemple, « On fait des sauces excellentes avec le persil domestique :
l’herbe cuite avec les aliments en facilite la digestion tout en éliminant du
ventre les ventosités. »
Il est inutile de chercher dans notre
document, arachide, cacao, café, coton, haricot, pomme de terre, maïs, palmier,
papaye, piment, poivron, tomate, tournesol, topinambour, tabac…
ils sont encore inconnus des Européens. Ils viendront plus tard du
Nouveau Monde… et
seront à la base d’une grande révolution alimentaire
mondiale.
Parallèlement, un seul animal sera
transféré vers l'Europe : le dindon.
Certains
chapitres du plantaire, plus inattendus, sont consacrés…
à
la manière de faire du beurre, aux différentes variétés de viandes, à la fabrication des fromages, au lait, à la cire d’abeille ou au miel !...
Jusque
vers le XVIe siècle, le beurre était plutôt consommé par le peuple et peu
apprécié dans la cuisine des nobles. De plus, il faisait partie des aliments
interdits par l’Eglise pendant les jours « maigres » : vendredi,
carême, etc., soit plus de 100 jours par an !
La
plupart de nos fromages actuels sont connus au Moyen Âge. Le brie en
particulier est vendu dans les rues de la capitale. En raison des nombreux
échanges commerciaux entre la France et l’Angleterre, sa renommée et son
commerce dépassent les limites de la France.
Le
manuscrit anglais The form of Cury
donne la recette d’une tourte au brie.[30]
« (…) le problème de conservation du
lait se pose et se posera jusqu’au XVIIIe siècle, on ne peut pas le garder plus
d’une journée. » Il faut faire bouillir le lait, la nature du récipient
qui le contient est importante : il ne doit pas être en cuivre ou en
airain. La consommation du lait étant interdite en période de carême, il est
remplacé par le lait d’amande pour les jours maigres et même pour les jours gras.[31]
Quelles
viandes consommait l’homme
médiéval ?
-
De viande de
grosse boucherie : bœuf, porc, veau, mouton
-
Des triped
-
des volailles : chapon particulièrement prisée, poulet, oie mets de choix
- Notons qu’un
chapitre est consacré aux œufs.
« Au Moyen Age, chaque
paysan a son enclos avec des « gélines » (poules), un ou plusieurs
coqs, chaque château a une basse-cour, dans les villes de nombreuses maisons
ont des jardins avec des poules. La consommation d’œufs est très importante,
l’œuf étant un aliment moins cher que la viande ou le poisson. »
- du gibier ou venoison à plume (pluviers,
bécasses, perdrix, pigeons), à poil (cerf, sanglier tous deux très prisés,
lapin et lièvre)
-
Des viandes
que nous ne consommons plus aujourd’hui : cygne, paon, cigognes, hérons,
outardes, grues, ou cormorans.
Au nombre des poissons
consommés par l’homme médiéval, on trouve l’anguille, un des poissons les plus
consommés, la lamproie, l’alose (de la famille de la sardine et du hareng), le
brochet particulièrement apprécié, la carpe très populaire, les plies, et
limandes, les truites qui étaient aussi estimées.
Le Jardin de santé ayant une visée
encyclopédique, il recense un grand nombre d’espèces indigènes qui n’ont ni
emploi alimentaire, ni vertu thérapeutique. De même, il traite pour le règne
minéral des pierres précieuses et fines, des gemmes organiques, des métaux, des
terres, auxquels l’homme médiéval reconnaît parfois des bienfaits pour la
santé…
D. Un jardin thérapeutique
La
pharmacopée médiévale est évidemment d’efficacité contestable.
En
ce qui concerne les plantes indigènes, beaucoup considérées alors comme des
panacées, n’avaient pourtant qu’un faible pouvoir thérapeutique, comme
l’angélique et la bétoine. Par contre, des plantes réellement efficaces, comme
l’aconit, n’avaient pas d’emploi thérapeutique, étaient peu appréciées ou mal
utilisées.
Nous
l’avons vu, les drogues orientales étaient importées et employées activement,
mais avec suspicion et se voyaient parfois préférer certaines plantes locales.[32]
Pendant
plusieurs siècles, et jusqu’au XIXe siècle, la médecine savante puis la
médecine populaire font de la théorie des signatures un élément de leur
raisonnement thérapeutique.
C’est
ainsi que le corail, rouge, est considéré comme un excellent hémostatique. Les
plantes à fortes épines sont bonnes contre les piqûres de serpent, tandis que
l’arum, la renoncule, les persicaires qui ont des taches, guérissent les taches
du corps…
Le
sexe de la plante n’est pas non plus à négliger. En effet, comme la femme est considérée
comme plus faible que l’homme, ce sont les herbes femelles qui lui conviennent.
Le chou pommé, le melon, parce qu’ils ressemblent à une tête humaine sont
censés combattre les maux de tête.
Certains
remèdes préconisés se sont néanmoins avérés véritablement efficaces…
Je
vous donne tout-de-suite quelques remèdes… tout « simples » :
-
la chélidoine,
qui guérit (parfois) cors et verrues simplement en les frottant avec son suc
jaune, sans qu’il soit besoin de « jeter la plante par-dessus l’épaule, sans
se retourner »
-
le plantain
est quant à lui efficace contre les piqûres d’orties ou d’insectes.
-
Par ailleurs « respirer par le nez des roses sèches conforte le cerveau et
le cœur et fait revenir les esprits » (Platearius).
- Un axiome de Salerne dit à propos de la sauge,
investie d’une quyrielle de dons : « Pourquoi mourir si l’on a de la
sauge dans son jardin ? » (folio ccvii)
On
trouve cinq grandes catégories de simples, correspondant aux grands thèmes des
pharmacopées du temps[33]
:
1. Les simples des
fièvres et des refroidissements
La médecine ancienne considère l’élévation
de température comme une maladie à part entière et non comme un symptôme. Sous
le terme générique traditionnel de « refroidissements » sont
entendues les affections de la gorge et des voies respiratoires. »
La saule et l’épervière piloselle sont des
fébrifuges, tandis que la guimauve, « mauve blanche » est un remède
très courant de la toux.
2. Les
« plantes des femmes »
Alors que le domaine gynécologique et
obstétrique restera longtemps du seul ressort des femmes elles-mêmes, les
pharmacopées font une large place aux remèdes féminins.
Exemple de « plantes des
femmes » : l’armoise, remède de base des troubles douloureux associés
au cycle menstruel ; la mélisse, appelée aussi l’herbe des jeunes filles était également préconisée…
3. Les plantes
vulnéraires
…c’est-à-dire les remèdes cicatrisants,
ceux qui arrêtent les hémorragies, désinfectent et font évoluer favorablement
les plaies, comptent « La grande consoude (consolido : je répare),
qui par sa racine riche à la fois en tanin et en allantoïne (substance qui
stimule la multiplication cellulaire), est une remarquable cicatrisante
(…) ; et millepertuis.
4. Les évacuants et les
purges
Pour rétablir l’équilibre entre les
humeurs, on avait recours à des purges souvent suspectes, voire toxiques.
Mais il y a aussi des
« évacuants » plus doux comme le polypode et les diverses mauves et
guimauves. »
5. Les plantes des
« maux de ventre »
Comme les fièvres, les « maux de
ventre » sont bien mal appréhendés par la médecine médiévale.
Un des remèdes préconisés est l’armoise.
« L’armoise qu’on prend pour la « douleur des boyaux » peut
calmer une indigestion avec spasmes mais n’aura aucun effet sur un mal plus
grave. ».
« Panacée des
maladies des voies digestives au Moyen-Age, la grande aunée, ancienne énule
campane, a longtemps été cultivée dans les jardins pour sa racine aux
propriétés toniques, antispasmodiques et vermifuges. »
Peu de
drogues animales semblent avoir été utilisées au Moyen Age. Après le XIIIe
siècle cependant, sont empruntés au règne animal la vipère, le lézard, la corne
de bœuf, la poudre de momie, le musc, la corne de cerf. Les mollusques
pulvérisés fournissent la chaux. Les animaux marins, l’iode, employé à Salerne
contre le goitre. Les bézoars sont bien connus de nos jours, grâce à Mrs.
Rolling et à un des personnages d’Harry Potter, le professeur Rogue qui est
amené à interroger le jeune héros sur la localisation et les propriétés de
cette pierre particulière. Il s’agit en fait de concrétions pierreuses qui se
forment dans l’estomac de certains animaux et auxquelles on attribuait la
propriété de neutraliser les poisons. Empruntés aux pharmacopées arabe et
persane, ils font leur apparition au XIIe siècle.
Nous
ne trouverons pas dans le Jardin de santé
la célèbre thériaque, qui n’est pas un simple, mais un composé.
Il
faut aussi rappeler les sangsues (folio l), qui connaîtront jusqu’au milieu du XIXe siècle une
vogue constante.
Le
règne minéral représente une part
non négligeable de la matière médicale. Depuis les Mésopotamiens et jusqu’au
XVIIIe siècle les pierres précieuses y jouent un rôle important. Il faut y
ajouter les sels de mercure, les sels de fer, l’acétate de plomb et de cuivre,
le soufre, l’alun, l’arsenic, les terres médicamenteuses, le sulfate de fer,
etc.
L’agathe trompe la soif et est bonne pour
la vue.
Le saphir rajeunit le corps, met à l’abri
de l’erreur, rassure les âmes craintives et apaise les colères du ciel.
Le béryl est utilisé contre les troubles du
foie.
L’améthyste évite l’ébriété, le corail fait fuir les monstres...
Les
alchimistes envisageait un remède radical contre toute maladie : la pierre
philosophale. Ils prêtaient à celle-ci des vertus thérapeutiques extraordinaires :
elle devait engendrer rajeunissement et immortalité. Leur soucis était de
parvenir à dissoudre la pierre et à la rendre assimilable par l’organisme.
Le
Jardin de santé préconise, pour ne
plus faire de mauvais rêve et être plus vaillant, de porter au cou ou au bras
un rubis.[34]
A noter aussi, même si nous nous éloignons du domaine thérapeutique,
selon Dyascoride, quant on porte du béryl, dont l’émeraude est une variété, il
« fait et donne amour en mariage ».
Si
beaucoup de prescriptions font appel à une pensée symbolique ou magique, il
n’en reste pas moins que de nombreuses recettes sont parfaitement cohérentes et
efficaces.
En
conclusion…
Le Jardin
de santé n’apporte pas à son époque de nouvelle
information scientifique, car tous les savoirs avaient déjà été rassemblés dans
les encyclopédies composées au XIIIe siècle.
Il faudra attendre les écrits de Paracelse ou les grands traités zoologiques du
milieu du XVIe siècle, comme celui de Pierre Belon pour qu’il y ait évolution,
révision de l’information scientifique. La pensée médicale ne progresse même
réellement qu’au XVIIe siècle avec la découverte des lois de la circulation
sanguine par le médecin anglais William Harvey et de celles de la circulation
lymphatique par le Français Jean Pecquet…
Le
Jardin de santé constitue au moins
une bonne synthèse des savoirs scientifiques à l’aube de la Renaissance… et
tant par le texte que par le riche corpus iconographique nous plonge dans
l’esprit de l’homme médiéval.
[1] Hüe Denis. Le
Jardin de Santé de Jean de Cuba, dans la traduction faite par A. Vérard autour
de 1500 : notes sur le lapidaire, in Le bestiaire le lapidaire la
flore : actes du colloque international (Université McGill, Montréal,
7-8-9 oct. 2002) / Giuseppe
Di Stefano, Rose M. Bidler (éd.). Montréal, Editions CERES, “le
moyen français : revue d’études linguistiques et littéraires fondée par
Giuseppe Di Stefano”, 2004-2005, p.
190.
[2] Le
programme de ces journées d’étude est consultable en ligne : http://www.unicaen.fr/mrsh/craham/revue/tabularia/pdf/Programme_Hortus_sanitatis.pdf.
[3] Hüe Denis. Le
Jardin de santé de Jean de Cuba : une encyclopédie médiévale tardive et sa
réception, in Bernard Baillaud,
Jérôme de Gramont, Denis Hue (éd.), Discours
et savoirs : Encyclopédies médiévales,
Rennes, Presses
universitaires de Rennes, “Cahiers Diderot”, 1998, pp.
173-199.
[4] Robert David. Édition
de la partie volucraire du Jardin de Santé, mémoire de maîtrise, Rennes,
1996.
Colnot
Stéphanie. Édition du traité sur les
plantes, du Prohesme au chapitre de l'erbe appellee arthemisia de l'Ortus
sanitatus translate de latin en François, mémoire de maîtrise, Rennes,
1998.
[5] Hüe Denis. Le
Jardin de Santé de Jean de Cuba, dans la traduction faite par A. Vérard autour
de 1500 : notes sur le lapidaire, in Le bestiaire le lapidaire la
flore : actes du colloque international (Université McGill, Montréal,
7-8-9 oct. 2002) / Giuseppe
Di Stefano, Rose M. Bidler (éd.). Montréal, Editions CERES, “le
moyen français : revue d’études linguistiques et littéraires fondée par
Giuseppe Di Stefano”, 2004-2005, pp.
187-203.
[6] Merci à
Fabien qui a pris les photographies contenues dans cet article !
[7] « Volucraire, subst. masc.,hist. de la litt. Ouvrage médiéval
généralement en vers, traitant des oiseaux et contenant des réflexions
morales ». Déf. du Centre national des
ressources textuelles et lexicales (CNRTL), créé en 2005 par le CNRS.
Disponible sur http://cnrtl.fr/
[8]
Catalogue général des livres imprimés de la bibliothèque nationale :
auteurs. Paris, Imprimerie nationale, 1908. Tome XXXIV : Crest –
Czyszkowski, col. 538.
[9] Hoefer. Nouvelle biographie générale
depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Paris, Firmin Didot
frères, 1856. Tome 12, col. 574.
[10] Selon Hirsch August. Cuba, Johannes von. Allgemeine
Deutsche Biographie (ADB).
Band 4, Duncker & Humblot, Leipzig 1876, S. 637. Cité par
Wikipédia.
[11] Hüe Denis, Le
Jardin de Santé de Jean de Cuba, dans la traduction faite par A. Vérard autour
de 1500 : notes sur le lapidaire, in Giuseppe Di Stefano, Rose M. Bidler (éd.), Le bestiaire le lapidaire la flore : actes du
colloque international (Université McGill, Montréal, 7-8-9 oct. 2002), Montréal, Editions
CERES, “le
moyen français : revue d’études linguistiques et littéraires fondée par
Giuseppe Di Stefano”, 2004-2005, p.
187.
[12] Notice
de la Bibliothèque nationale :
Gart der Gesundheit
[Texte imprimé]. Mainz : Peter Schöffer, 28 III 1485
.- [360] ff. non signés [a-z8, A-T8, V-X4, Y-Z8], ill.
; in-fol.
Ouvrage compilé ou
rédigé par Johannes de Cuba = Johann Wonnecke von Kaub, cf.
"Verfasserlexikon", II, 1980, col. 1072-1092 379 gravures sur
bois, certaines par Erhard Reuwich Lettre-préface de Bernhard von
Breidenbach et Peter Schöffer.
[14] Hüe Denis, Le
Jardin de Santé de Jean de Cuba, dans la traduction faite par A. Vérard autour
de 1500 : notes sur le lapidaire, in Giuseppe Di Stefano, Rose M. Bidler (éd.), Le bestiaire le lapidaire la flore : actes du
colloque international (Université McGill, Montréal, 7-8-9 oct. 2002), Montréal, Editions
CERES, “le
moyen français : revue d’études linguistiques et littéraires fondée par
Giuseppe Di Stefano”, 2004-2005, p.
188.
[15] « (…) l’analyse complète du De piscibus et des tests conséquents
réalisés sur les autres livres de l’Hortus
sanitatis nous permettent de reconnaître une même main qui a appliqué avec
beaucoup d’habileté et de pragmatisme les mêmes méthodes de «rédaction» tout au
long de son travail: empruntant exactement la méthode suivie par le rédacteur
du Gart der Gesundheit, l’auteur de
l’Hortus sanitatis a rédigé une
compilation entièrement nouvelle à partir de deux sources principales, cette
fois latines, qu’il a su abréger et combiner avec efficacité : le Speculum naturale de Vincent de Beauvais
et les Pandectes de Mattheus
Silvaticus. Le choix de ces deux œuvres était tout à fait judicieux, car elles
lui fournissaient de la matière déjà compilée et, surtout, leur structure lui
permettait de faire illusion. Ces éléments nous amènent à penser que le
rédacteur du Gart der Gesundheit et
celui de l’Hortus sanitatis ne sont
qu’une seule et même personne : Jean de Cuba, mais qui s’est associé, pour
composer l’Hortus sanitatis, à
l’imprimeur-éditeur J. Meydenbach. »
Gauvin
Brigitte, Jacquemard Catherine, Lucas-Avenel Marie-Agnès. Emprunts,
compilation et réécriture dans l’Hortus sanitatis [en
ligne]. Schedae, 2011,
prépublication n° 1, p. 3. Disponible sur :
[17] LABARRE Albert. Vérard Antoine (1450?-? 1519), in Encyclopædia Universalis [en ligne],
consulté le 8 avril 2013. Disponible sur : http://www.universalis.fr/encyclopedie/antoine-verard/
[18] Antoine
Vérard a réutilisé par exemple le dessin de gravures de l’Hortus sanitatis
comme base pour les bois gravés du Jardin de santé. Un même bois gravé a pu
également servir à illustrer plusieurs chapitres du Jardin de santé. C’est le
cas par exemple des tonneaux de miel et d’huile d’olive qui sont très
semblables ! De même le lait et le bitume, ou encore le rhododendron et la
rose !
[19]
« Le catalogue de la BnF mentionne trois éditions sans date de J.
Grüninger, dont une postérieure à 1500, une édition vénitienne « per
Bernardinum Benalium et Joannem de Cereto de Tridino alias Tacuinum »,
1511, une nouvelle édition de J. Grüninger, datée de 1517, deux éditions
strasbourgeoises : Renatus Beck, 1517, M. Apiarium, 1536. Brunet, qui cite
Hain, mentionne deux éditions allemandes, Sorg, Augsburg, 1485, et une de
Lübeck, 1492, « en bas saxon ». On peut aussi mentionner d’après le
catalogue de la bibliothèque du Congrès Strassburg : Johann Prüss,
1509 ; Ulm : Konrad Dinckmut, 1487 ; Utrecht ? Gheprent bi
J. van Dossborch, 1532, avec Arnaud de Villeneuve ; ainsi qu’une version
néerlandaise Antwerpen, Gheprint bi C. de Graue, 1514. Pour la version
anglaise, cf. Noel Hudson, An Early English Version of Hortus Sanitatis :
A récent Bibliographical Discovery Quaritch 1954. »
Extr.
de Hüe Denis. Le Jardin de Santé de Jean de Cuba,
dans la traduction faite par A. Vérard autour de 1500 : notes sur le
lapidaire, in Giuseppe Di
Stefano, Rose M. Bidler (éd.), Le
bestiaire le lapidaire la flore : actes du colloque international
(Université McGill, Montréal, 7-8-9 oct. 2002),
Montréal, Editions CERES, “le
moyen français : revue d’études linguistiques et littéraires fondée par
Giuseppe Di Stefano”, 2004-2005, pp.
188.
[20] Le Catalogue collectif de France (CcFr)
répertorie neuf exemplaires de l’édition d’Antoine Vérard et douze exemplaires de celle(s) de
Philippe Le Noir.
[21] Brunet Jacques-Charles. Manuel du
libraire et de l’amateur de livres… Paris, chez Silvestre, 1842. Tome II, p.
648.
[22] « Note finale d'un manuscrit ou d'un incunable
fournissant les références de l'ouvrage et les indications relatives à sa
transcription ou à son impression. Mod. achevé
d'imprimé (…). » Déf. du Centre national des ressources textuelles et
lexicales (CNRTL), créé en 2005 par le CNRS. Disponible sur http://cnrtl.fr/
[23] Hoefer. Nouvelle biographie générale
depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Paris, Firmin-Didot, 1877.
Tome 45, col. 1093-1094.
[24] « Caractère représentant plusieurs lettres en un seul
signe graphique. » Déf. du Centre national des
ressources textuelles et lexicales (CNRTL), créé en 2005 par le CNRS. Disponible
sur http://cnrtl.fr/
Exemples
de ligatures dans le Jardin de santé : « sãté » pour
« santé ».
[25] Voir Gauvin Brigitte, Jacquemard
Catherine, Lucas-Avenel
Marie-Agnès. Emprunts, compilation et réécriture dans l’Hortus sanitatis [en
ligne]. Schedae, 2011,
prépublication n° 1, p. 1 - 21. Disponible sur : http://www.unicaen.fr/puc/ecrire/preprints/preprint0012011.pdf
Hüe Denis. Le
Jardin de santé de Jean de Cuba : une encyclopédie médiévale tardive et sa
réception, in Discours et savoirs :
Encyclopédies médiévales / Textes rassemblés et édités par Bernard
Baillaud ; Jérôme de Gramont ; Denis Hue. Presses universitaires de Rennes,
1998, 199 p. (Cahiers Diderot ; 10). Disponible
sur : http://www.sites.univ-rennes2.fr/celam/cetm/cd10/Hue.pdf
Hüe Denis. Le Jardin de Santé de Jean de Cuba,
dans la traduction faite par A. Vérard autour de 1500 : notes sur le
lapidaire, in Le bestiaire le lapidaire la flore : actes du colloque international
(Université McGill, Montréal, 7-8-9 oct. 2002) / Giuseppe Di Stefano, Rose M. Bidler (éd.). Montréal, Editions CERES, “le moyen français : revue d’études
linguistiques et littéraires fondée par Giuseppe Di Stefano”, 2004-2005, p.
187-203.
[26] ROY
Bruno. La trente-sixième main : Vincent de Beauvais et Thomas de
Cantimpré. Vincent de Beauvais : intentions et réceptions d’une œuvre
encyclopédique au Moyen Âge : Actes du XIVe colloque de l’Institut
d’études médiévales, organisé conjointement par l’Atelier Vincent de Beauvais
(A.R.Te.M., Université de Nancy II) et l’Institut d’études médiévales
(Université de Montréal) 27-30 avril 1988 / Monique Paulmier-Foucart, Serge
Lusignan, Alain Nadeau dir. Saint-Laurent : Maison Bellarmin :
Paris : Vrin, 1990. p. 250.
[27] Lieutaghi Pierre. Jardin des savoirs, jardin
d’histoire : suivi d’un glossaire des plantes médiévales. Les Alpes de
lumière, 1992. p. 32-33.
[28] « Et
aussi non pas moins m'a esmeu a ceste chose aggreger mais tres grandement aucun
noble seigneur : lequel en allant par divers royaulmes et diverses terres,
c'est assavoir : Allemaigne, Ytalie, Hystrie, Salvonie, Croatie, Dalmacie,
Grece, Corfonie, Moree, Candie, Rhodes, Cyprie, et la Terre saincte avec sa
cité de Hierusalem ; et de la en allant en la Petite Arabie vers la montaigne
de Synay. Et de la montaigne de Sinay vers la mer Rouge, Alcayr et Babiloyne,
par Alexandrie jusques en Egypte, a prinse grande experience des souvent dictes
herbes, bestes, pierres, et autres choses a la confection des medicines
necessaires et incongneues par leur rareté. En escrivant leurs vertus et leurs
semblances et similitudes soubz figures convenables et par certaines couleurs a
procuré faire leur semblance. Toutes lesquelles et chascune d'icelles soubz
forme, figure et couleur deuëz et par ordre exquis tu trouveras despaintes en
ceste presente euvre. »
[29] Lieutaghi Pierre. Jardin des savoirs, jardin
d’histoire : suivi d’un glossaire des plantes médiévales. Les Alpes de
lumière, 1992. p. 101.
[30] Marty-Dufaut Josy. Le mesnagier de
Paris : la cuisine médiévale à la fin du XIVe siècle recettes d'après le
manuscrit. Bayeux : Heimdal, 2009, p. 15.
[31] Ibid..,
p. 14.
[32] Imbault-Huart Marie-José, Dubief Lise, Merlette Bernard (Abbé). La médecine au
Moyen Âge à travers les manuscrits de la Bibliothèque Nationale. Paris :
Editions de la Porte Verte : Bibliothèque Nationale, 1983, p. 129.
[33]
Classification établie par :
Lieutaghi Pierre. Jardin des savoirs, jardin
d’histoire : suivi d’un glossaire des plantes médiévales. Les Alpes de
lumière, 1992
[34]
« Est la minière de ceste pierre es terres de Orient. (…) Si aucun lye
ceste pierre a son col ou a son bras et il la porte il ne verra point de nuyt
de mauvais songes ne aussi paoureux. Et se celluy qui regardera au soleil tant
que sa veue est débilitée touche avecques icelle ses yeux et elle luy
conviendra. Et quant cette pierre est frottée aux cheveulx de la teste elle
attire les festus et pailles ainsi que fait la pierre magnes le fer. »
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